Le contexte historique et politique

Nicolas Ceauşescu prend la tête de l’État en Roumanie en mars 1965.

A partir de 1972, dans un but de contrôle des populations, il met en place une politique de « systématisation ». Cette systématisation consiste à détruire des centaines de villages, de villes et de bourgades. Des zones urbaines d’habitations de masse, constituées de grands immeubles de béton collectifs, sont construites en remplacement.

Les animaux domestiques sont interdits dans ces nouveaux logements. Les familles ainsi déplacées abandonnent donc leurs animaux, et les laissent derrière elles. Abandonnés en masse et à l’échelle de tout le territoire, chiens et chats errants commencent à proliférer dans les rues et les campagnes.

La chute du régime soviétique en Roumanie en 1989 n’a pas permis de résoudre le problème que pose la population de chiens errants dans ce pays.

La population de chiens sauvages explose et on estime en 2000 leur nombre à environ 200 000 rien qu’à Bucarest, pour 1,7 millions d’habitants humains¹.

Les chiens errants s’organisent en groupe plus ou moins importants, et s’installent en périphéries des habitants. Cette proximité provoque des accidents et de nombreuses morsures sont recensées.

En 2011 le parlement européen demande à l’État Roumain de mettre en place des « stratégies globales de gestion de la population canine »². Des fonds européens sont mobilisés et mis à disposition de l’État roumain pour financer des campagnes de stérilisation et de vaccination contre la rage. Il est fortement suspecté que ces fonds ont été détournés, et que les campagnes n’ont pas été réellement mises en place.

On rapporte en 2013 des attaques de groupes de chiens des rues dont une aurait été mortelle pour un enfant. Cet incident, bien que sa véracité soit controversée, va fortement être instrumentalisé pour appuyer le vote d’une loi visant à réduire la population de chiens errants.

Le Parlement roumain vote donc en 2013 de façon expéditive une loi autorisant la capture et l’abattage des chiens errants, pratique qui en réalité avait déjà cours dans les années 1990. Cette loi instaure la pratique des « dog catchers », acteurs privés rémunérés en fonction du nombre de captures de chiens errants.

Depuis la situation dégénère, les règles posées par les lois encourageant l’euthanasie des chiens errants ne sont pas respectées. Le délai de 14 jours pendant lequel le chien devait être gardé avant euthanasie n’est plus observé. Les chiens sont capturés aussi bien dans la rue, dans la campagne, que sur des terrains privés puisque les « dog catchers » sont rémunérés au nombre de captures. On note ainsi par exemple 18 chiens volés à l’intérieur de la clinique vétérinaire d’une association, ou des réseaux qui importent des chiots et favorisent la reproduction des chiens pour entretenir cette source de revenus³.

Les euthanasies, devant normalement se faire par injection létales selon les lois européennes, sont dans les faits effectuées de manière illégale et violente par soucis d’économies : coups, électrocutions, monoxyde de carbone, empoisonnement…

La population roumaine est divisée sur la politique de l’État de gestion de la démographie des chiens. La systématique diabolisation du chien dans les campagnes de communication a profondément marqué les relations d’une grande partie de la population avec les chiens des rues.

Ces campagnes insistent ainsi sur la peur des maladies et des attaques, entretenant un sentiment général d’insécurité bien ancré.

Une part non négligeable de la population s’oppose à cette politique, entrant parfois en conflit avec les « dog catchers » qui doivent revenir accompagnés de forces de l’ordre, ou allant régulièrement réclamer le plus de chiens possible en fourrière.

La notion de chien errant

Il est important de noter avant toute chose certaines différences culturelles.

En Roumanie, on observe de très grandes inégalités de niveau de vie, avec un salaire moyen autour de 430€ net par mois et donc une grande partie des foyers en situation de pauvreté, et ces différences sociales influent sur la forme que prend la relation au chien.

On observe donc la confrontation de plusieurs aspects sociaux de la relation au chien.

Dans les familles riches, le chien de race est un marqueur de statut social. Il est inclu au foyer, entretenu, soigné, de plus en plus fréquemment stérilisé, et ses déplacements sont contrôlés et limités aux sorties avec les membres de sa famille, sur le modèle du chien de compagnie occidental.

Les chiens de travail, souvent élevés en chenil, jouissent aussi d’un statut particulier. Ils ne sont pas inclus au foyer mais leur santé est surveillée et leurs déplacements contrôlés dans le cadre de leur activité, comme c’est le cas pour beaucoup de chiens de travail dans le reste de l’Europe.

Cependant, pour la majorité des foyers en relation avec un chien, le chien vit dehors libre et est nourri en échange du service de garde qu’il fournit par exemple. Dans ce cas le foyer ne s’occupe pas de sa santé, de son confort ou de son éducation et n’investit pas plus d’argent que nécessaire pour le nourrir régulièrement. Souvent si le chien est capturé, il n’est pas réclamé comme appartenant à quelqu’un.

Certains habitants prennent aussi des chiens errants sous leur protection. Ils nomment alors quelques chiens qu’ils décident d’aider, les nourrissent, leur construisent des abris et tentent de les protéger des « dog catchers ». Dans certains villages des habitants vont jusqu’à s’organiser pour se prévenir mutuellement de l’arrivée des « dog catchers » et tenter de cacher les chiens pour les sauver.

On voit bien que la distinction entre chien errant ou non est très floue et que la politique d’abattage ne cherche pas à discriminer même au risque d’entrer en conflit avec les populations.

Il est donc difficile de faire la différence entre un chien errant et un chien qu’on pourrait considérer en divagation quasi permanente. Comme tous ces chiens sont autant concernés par le risque de capture et d’euthanasie, et donc sauvés de façon indifférenciée par les associations de protection des animaux, il est impossible de savoir en adoptant un chien de Roumanie s’il était errant ou en divagation quand il a été capturé.

Troubles du comportement courants des chiens des rues de Roumanie

Les chiens issus de sauvetages de Roumanie ont des parcours très différents, mais qui ont souvent en commun la peur. Les causes de cette peur et la façon dont elle s’exprime varie et peut être à l’origine de nombreux troubles du comportement qui se révèlent après l’adoption.

Pour ceux qui ont vécu dans les rues, la peur était partie intégrante de leur survie. Ils ont évolué dans un environnement dangereux, aux menaces multiples : les « dog catchers », les humains violents, les autres chiens connus ou non… et ont donc développé des comportements et des réactions face à l’inconnu souvent basées sur la peur. Il n’est pas rare que ces chiens montrent de fortes réactivités congénères ou humains, en fonction des contextes, et des phobies.

Un nombre important de chiens adoptés sont des chiots ou jeunes chiens qui n’ont connu que la fourrière ou le refuge. Ils ont donc eu l’expérience de peu de stimulations, ont été peu exposés à l’humain et n’ont pas connus de changements dans leur environnement avant d’en sortir. Il est donc fréquent qu’ils souffrent entre autres d’un symptôme de privation sensorielle.

La grande majorité sont passés au moins une fois en fourrière, entassés dans des box, sans accès à l’extérieur, enfermés et isolés du reste de l’environnement. En fonction du temps passé dans ces conditions extrêmement anxiogènes beaucoup développent des troubles du comportement comme des stéréotypies ou des dépressions et perdent en capacité d’adaptation à leur environnement.

Que ce soit en fourrière ou en refuge, ils ont tous connus des relations intra spécifique conflictuelles. Ils y évoluent dans des contextes de nourrissage en commun ou peu de quantité de nourriture est disponible et la lutte pour l’accès à la nourriture peut être violente. En plus d’influer sur les relations intra spécifiques, ces situations peuvent générer des troubles de l’alimentation, comme de l’anorexie ou de la boulimie, et de la protection de ressource.

Tous ont subi des manipulations plus ou moins traumatisantes. Qu’il s’agisse de captures violentes par les « dog catchers » ou de captures par les associations de sauvetage, ils ont été attrapés, soulevés, poussés dans des caisses, étranglés, saisis au lasso ou au filet, alors même qu’ils n’ont la plupart pas eu de socialisation secondaire importante à l’humain. Beaucoup sont donc craintifs, méfiants envers l’humain et ne supportent que très difficilement les manipulations à leur arrivée.

Enfin tous ont vécu le trajet jusqu’à leur pays d’adoption. Ils ont donc passé plusieurs jours en caisse de transport, dans le noir, alors que pour la plupart d’entre eux le voyage en véhicule est associé au stress de la capture.

Indépendamment de leur histoire les chiens de sauvetage de Roumanie arrivent donc épuisés, apeurés et complètement perdus et dépaysés. Celà est à l’origine de beaucoup de fugues dans les premiers jours : le chien fuit un environnement inconnu et donc anxiogène pour tenter de chercher un repère connu, un lieu rassurant, et retrouver un sentiment de sécurité.

Les conditions atroces auxquelles les chiens errants de Roumanie sont soumis tout au long de leur vie n’auront pas d’issues sans une prise de responsabilité politique.

L’adoption n’est pas une solution au problème de démographie des chiens des rues mais une réponse à la cruauté des mesures mises en place pour y remédier.

Adopter un chien errant de Roumanie a des enjeux tout particuliers. Statistiquement le chien a probablement vécu plusieurs évènements traumatisants, et il est impossible de connaître son histoire. Il faut s’attendre à un parcours long et laborieux pour aider le chien à retrouver un état apaisé, à surmonter ses phobies ou à réapprendre à communiquer.

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